La grande odalisque, tout savoir sur l’oeuvre d’Ingres

Publié le : 17 novembre 20207 mins de lecture

Vêtue d’une beauté simple, « La Grande Odalisque » (1814) de Jean Dominique Ingres (1780 – 1867) s’entoure de tissus fins, dans la douceur d’un lit langoureusement rendu dans le désordre d’un événement qui nous est inconnu. Une physicalité blanche et tonique, dans l’élégance d’un visage tristement jeune et beau, où le corps est exposé, exalté dans l’attrait d’un choix esthétique qui rappelle les échos des superbes vénus du XVIe siècle.

Un vêtement richement enveloppé de pierres précieuses et de brocards dignes d’une haute lignée, donne l’éternité d’un moment intense, qui dure dans le temps, dans une attente prodigieuse qui rend fugitivement immortel le regard faiblement tendu vers le spectateur, dans cette physionomie ambiguë, où il est difficile d’extrapoler une expression sereine ou indifférente.

La grande odalisque d’Ingres n’était pas seule dans sa conception, ni la seule beauté éternisée par la main du peintre français, se plaçant, en fait, dans la proche et brillante « Odalisque avec esclave », conservée à la Walters Art Gallery, Baltimore.

Admirable exemple de la peinture du XIXe siècle d’une magnificence enchanteresse, Ingres frappe à nouveau sous le signe d’une séduction faite d’un nouveau classicisme, de formes douces et de couleurs intensément brillantes.

Les membres sculpturaux de la Grande Odalisque trouvent refuge dans les somptueuses salles du Louvre qui abritent les chefs-d’œuvre de la peinture française, ramenant le spectateur à la contemplation d’un artefact d’un illustre génie, et qui conduit inévitablement à une comparaison théorique avec le baigneur prémonitoire de Valpinçon (La Baigneuse, « La Grande Baigneuse », 1808) et le chef-d’œuvre consécutif connu sous le nom de « La Source » (« The Source », 1820) par Ingres lui-même.

La grande odalisque : genèse de la peinture

Le tableau a été commandé en 1813 par Caroline Murat (1782 – 1839), soeur de Napoléon (1769 – 1821) et épouse de Joachim Murat (1767 – 1815), le général français et maréchal de l’Empire avec Napoléon. La toile a été créée comme pendentif du tableau de nu vers 1808 appelé « Le dormeur de Naples », perdu en 1815 à cause de la chute du Royaume et connu seulement grâce à une version ultérieure. Bain turc, musée Louvre, oeuvre art, femme nue, huile toile, auguste Dominique, jean auguste, Dominique Ingres.

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Notes techniques et descriptives

La représentation picturale d’une vierge esclave au service des Ottomans (« odalik ») est la juste expression d’un siècle, le XIXe siècle, où la fuite des pratiques ennuyeuses de la vie conjugale s’est faite par l’adultère.

L’esprit du « long siècle » a souvent bouillonné et vibré dans la clandestinité des rigides valeurs victoriennes, dans cette morale qui a le plus revigoré l’esprit de bohème et qui dans toutes les mesures a entraîné des excès, souvent guillotine sous laquelle est tombée et finalement éteinte la vie de nombreux esprits brillants.

Dans un parallèle littéraire, dans les connotations d’une vierge aux souvenirs fortement liés à la « Fornarina » (1518) de Raphaël (1483 – 1520) et au dos nu de la Paolina Borghèse, on voit la pâleur noble de la courtisane Margherita Gautier, la créature sublime née de la plume du fils d’Alexandre Dumas (1824 – 1895), dans l’entrelacement de l’esprit flaubertien d’Emma Rouault, l’adultère Madame Bovary.

La beauté enivrante d’un corps jeune et nu et d’une virginité intacte contient une grande partie de son propre siècle, rendant hommage et donnant de l’éclat aux grands maîtres de la Renaissance italienne, qui ont probablement enseigné au monde le potentiel expressif d’une caste nue.

Quand Alfredo Germont, l’amant de Violetta Valéry, a chanté les célèbres notes de « Libiamo, libiamo ne’ lieti calici, che la bellezza infiora ; e la bellezza fuggevol, fuggevol ora s’inebri a voluttà », quelque chose a réveillé la vérité dans nos âmes, en portant la réalité, au moins répandue, de la « Traviata » de Giuseppe Verdi (1813 – 1922) dans les hauts et nobles théâtres européens.

L’Odalisque devient ainsi un véritable reflet et un emblème pictural exaltant des héroïnes du XIXe siècle, une figure de femme non plus soumise, mais habilement capable de dominer sa sexualité.

Il est donc facile de déduire, comme cela arrive souvent dans le monde de l’art, l’étroite corrélation des idéaux qui ont pénétré toutes les sphères de la connaissance humaine, reliant l’art, la littérature et le théâtre dans des schémas similaires.

La Grande Odalisque d’Ingres est le symbole d’une beauté idéale, menacée, intacte mais en même temps corrompue, vive et livide d’un luxe qui désarme et arme l’esprit vers les exploits les plus bouleversants, dans cet art qui enseignait l’audace.

Dans le goût exotique qui enrichit l’art de nouvelles iconographies enveloppantes et donne naissance aux collections privées les plus intéressantes, la courtisane se distingue nue, montrant son dos au-delà de toute mesure d’allongement avec l’expédient de deux vertèbres supplémentaires, exposant ainsi une forte poussée maniériste et néoclassique.

La blancheur d’un visage d’innocence illusoire est rehaussée par le fond noir, presque comme pour suggérer la spatialité d’un grand lieu, celle d’un palais ou d’une riche demeure.

Charles Pierre Baudelaire (1821 – 1867) disait que « Ce qui distingue le talent de M. Ingres, c’est son amour des femmes. Son libertinage est sérieux et très scrupuleux », comme s’il voulait une fois de plus redessiner les limites d’une conception imprégnant « lisere » et « chine », dans le jeu tintant de la séduction qui a conduit à la découverte des crinolines.

L’audace sentimentale d’Ingres tonifie toutes les couches de la vie privée et artistique, reflétant l’avidité sentimentale de l’amour né avec Madeleine Chapelle, sentiment qui germe dans la correspondance et qui ne prive pas le peintre français de la capacité d’orienter son affection humaine et artistique vers le sexe doux :

Ingres a consacré beaucoup d’attention au rendu des tissus et aux contrastes chromatiques, comme en témoignent le rose ambré du teint, le bleu intense des rideaux brodés d’or, les notes raffinées et précieuses des bijoux, de l’éventail et du turban ; une attention chromatique qui ne s’étend nullement au rendu du dessin, se tournant vers des « déformations anatomiques fonctionnelles au rendu d’un idéal d’harmonie visuelle ».

L’absence de vérité anatomique a été sévèrement critiquée au Salon en 1911, ce qui a conduit le peintre et critique d’art français Charles Paul Landon (1760 – 1826) à désapprouver le résultat pictural d’une vierge sans os, sans muscles et sans sang, dans une tentative plausible et inattendue de « ressusciter la manière pure et primitive des peintres de l’Antiquité ».

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